Hommage à José Gotovitch, fondateur du Centre d’histoire et de sociologie des gauches (par Anne Morelli)

Chers Collègues, chers Amis,

Le décès de notre collègue José Gotovitch a donné lieu à de nombreux hommages très mérités.
On a relevé abondamment ses origines, sa direction du CEGES, ses trois ouvrages les plus saillants (« L’An 40 » avec Jules Gérard-Libois, sa thèse sur les communistes dans la Résistance et son dernier livre sur la Jeunesse communiste dans l’entre-deux-guerres).

 José à Cuba (la Havane) en 2001 (photo : Anne Morelli).

On a trop peu, selon moi, parlé du professeur enthousiasmant qu’il fut, réussissant même à faire lire à de futurs businessmen et avocats le livre clé de Frantz Fanon dénonçant les méfaits du colonialisme ! J’ai reçu après son décès de nombreux messages d’anciens étudiants rappelant son charisme et l’élan qu’il leur communiquait en leur expliquant tant la méthode historique scrupuleuse qu’il pratiquait que la révolution cubaine qui avait illuminé sa jeunesse.

Les communiqués officiels ont parlé de son appartenance à l’Académie, qu’il a pourtant fuie rapidement, mais, par contre, son appartenance maçonnique a généralement été gommée. José Gotovitch faisait partie d’une loge particulière, intitulée « La butte aux cailles » dont il fut orateur. Cette butte a été le dernier bastion de la Commune de Paris après sa défaite, c’est évidemment tout un symbole. Dans cet atelier, qui se réunissait non pas dans un temple mais dans une arrière-salle de café (!), on rappelait le rôle des maçons communards et on y chantait « Le temps des Cerises »….

Un autre important « trou » de la biographie officielle qui s’est répandue après son décès, concerne le rôle essentiel de José Gotovitch dans la création et le maintien depuis plus de 35 ans du Centre d’histoire et de sociologie des gauches, qui, pour les plus jeunes d’entre vous, n’est sans doute qu’un nom sur une porte du 13ème étage de l’Institut de Sociologie.

Il considérait, hors de ses fonctions officielles au CEGES, ce Centre comme la prunelle de son œil, son enfant illégitime bienaimé.

Lorsque les Etats-partis de l’Est se sont effondrés en 1989, la création simultanée d’un « Groupe d’histoire et de sociologie du communisme » au sein de l’Institut de Sociologie était un peu une provocation. Le communisme continuait à exister et restait en tous cas objet d’étude et de réflexion.

Autour de José Gotovitch se groupent des historiens, des sociologues et des politologues (Pascal Delwit, Jean-Michel Dewaele…) pour faire vivre ce Groupe dans deux directions : des séminaires mettant en valeur des travaux sur ce thème et des colloques ou Journées d’études destinés à susciter des recherches nouvelles et parfois accompagnés d’expositions originales.

La première initiative publique du Groupe fut un colloque qui vit se réunir des chercheurs très divers (certains venant des Etats-Unis, d’autres du Japon) et intitulé « Victor Serge: Vie et oeuvre d’un révolutionnaire ». Ce révolutionnaire, à sa sortie du goulag soviétique, manifestait encore fermement son espoir de voir le communisme triompher et, après un passage en Belgique, il avait rejoint le groupe trotskyste au Mexique.

Les communications furent publiées dans la revue « Socialisme » de juillet-octobre 1991. A l’époque cette revue, imprimée par le P.S., manquait cruellement de matériaux, publiait les discours les plus conventionnels des responsables du PS, et son responsable, plus anarchiste que socialiste, était trop content de nous laisser toute la place et de publier les textes de nos colloques sous forme de n° spécial.
Il en fut ainsi également pour le colloque sur les « médecins rouges » ou pour « Hiroshima sans amour » (1995) qui nous valut l’honneur de recevoir Jozef Rotblat qui, quelques semaines plus tard allait être honoré du Prix Nobel de la Paix.

José et moi regretterons plus tard de ne pas avoir créé, depuis le début, une collection spécifique du Groupe, devenu (par prudence ?) « Centre d’histoire et de sociologie des gauches »… Les nombreux ouvrages auxquels le CHSG a donné naissance sont donc hélas éparpillés chez des éditeurs très divers

Les initiatives se sont succédées avec une grande régularité : « La peur du Rouge », « Militantisme et militants », « Contester dans un pays prospère » « Les solidarités internationales », « Presse radicale, presse communiste »…, et plus récemment des réflexions collectives, très suivies par un public fidèle et renouvelé, sur les espoirs soulevés par 1917 ou sur Rosa Luxemburg.

Dans plusieurs cas, des expositions sont nées également dans le cadre du CHSG : sur l’anticommunisme, sur la caricature dans la presse communiste, sur l’anarchiste Francisco Ferrer…Expositions souvent itinérantes.

Le CHSG est actuellement dirigé par Nicolas Verschueren, avec l’aide précieuse de Francine Bolle, que José Gotovitch estimait hautement. Historienne du syndicalisme, elle a approfondi des recherches entamées par José Gotovitch sur la présence des communistes dans les syndicats de l’entre-deux-guerres. Depuis des années, elle s’est attelée avec énergie à maintenir la tradition des journées d’études et des séminaires du CHSG.

En 2023, Paul Aron a lancé via le CHSG un grand projet d’exposition et de livre sur les artistes belges et le communisme. Ceux qui ignoraient, par exemple, que Magritte fut membre du P.C. belge allaient y apprendre énormément. Lors de la première séance de ce projet (qui a rassemblé un très nombreux public avenue Jeanne), José Gotovitch était évidemment parmi nous.

Quant aux séminaires, pas une année n’en a manqué. Généralement animés par de jeunes chercheurs, ils nous ont réservé des moments riches, intéressants mais aussi dramatiques.
En effet, Eric Remacle devait en 2013,  lors d’un de ces séminaires, présenter un livre original sur les Belges dans la guerre d’Espagne. Je venais de lui céder la parole, lorsqu’il s’effondra à mes côtés et, malgré des soins immédiats, les ambulanciers ne purent que constater son décès. Il avait 52 ans et venait d’accepter de s’impliquer davantage dans le CHSG.

Cette création de José Gotovitch a donc traversé des orages mais est toujours bien vivante. J’espère qu’au -delà de la disparition de son fondateur, le CHSG peut se préparer à fêter bientôt ses 40 ans. 40 ans de recherche, de vulgarisation mais aussi de rêve politique.

Anne Morelli

Professeure honoraire de l’ULB